La Tirade du Pied
Ah ! Non ! C'est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme...
En variant le ton, —par exemple, tenez :
Agressif : « moi, monsieur, si je n'avais pas de pied,
Il faudrait que je m'en fasse greffer sur le champ ! »
Amical : « mais ce malheur doit être facilement salissant :
Voulez-vous de la cire et un petit chiffon ! »
Descriptif : « c'est un bâton ! ... c'est une branche... c'est un tronc !
Que dis-je, un tronc ? ... c'est un mât ! »
Curieux : « à quoi vous sert donc ce bizarre tibia ?
De tuteur, monsieur, où de fût à canon ? »
Gracieux : « aimez-vous à ce point les chatons
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De donner un grattoir à leurs petites pattes ? »
Truculent : « ça, monsieur, lorsque vous jardinerez,
Prenez garde de ne pas verser d'engrais !
Sans qu'il faille ensuite élaguer cet attribut ! »
Prévenant : « gardez-vous de cette jambe pointue
Par votre poids de rester dans le sol planté ! »
Tendre : « faites-la donc faire un peu ciselée
Que cette colonne devienne corinthienne ! »
Pédant : « la créature seule, monsieur, que JRR Tolkien
Appelle Fangorn-Treebeard-Sylvebarde
Dut avoir sur la jambe tant de bois et d'échardes ! »
Cavalier : « quoi, l'ami, ce piquet est à la mode ?
Pour courir un 100 mètres, ça doit être fort commode ! »
Emphatique : « aucun courant ne peut, quille magistrale,
Faire dévier le cap de ton amiral ! »
Dramatique : « c'est un boulet pour qui se baigne ! »
Admiratif : « pour un charpentier, quelle aubaine ! »
Respectueux : « souffrez, monsieur, qu'on vous salue,
Si par l'oubli , c'est un coup d'pied au c u l ! »
Campagnard : « hé, ardé ! C'est-y un pied ? Nanain !
C'est queuqu'carotte géante ou ben queuqu'arbre nain ! »
Militaire : « sortez les matraques, les gourdins, l'artillerie »
Pratique : « voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! »
Enfin parodiant Pyrame en un sanglot :
« Voilà donc cette jambe qui des traits de son maître
A détruit l'harmonie ! Il en bourgeonne, le traître ! »
—Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit :
Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres
Vous n'avez que les trois qui forment le mot : sot !
Eussiez-vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
Me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n'en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d'une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.